mardi 26 janvier 2010

Accomptes d'auteurs






Le vrai drame d'un auteur
est d'être oublié
sa vraie dramatique est d'être rayé
non de la mémoire collective
non des encyclopédies
non des pupitres, des chapitres ni des rampes
mais des registres de la vie courante.
Être oublié de la comédie de la vie...
Parfois
l'œuvre écrase l'homme
comme le tombereau sur Fauchelevent
toujours
l'œuvre écrase l'homme
sans que nul Valjean ne vienne l'en soulager
n'en faisant au mieux ressortir qu'un être abject
bon pour les travaux forcés
– ce qui est d'ailleurs son cas –
souleveur des tombereaux des autres
saoul le vers à la plume
la note aux ailes d'un nez rouge
amuseur publique
sans que rien ne l'amuse que quelques autres aussi malchanceux
aiguilles d'iridium dans la botte du foin fait par la masse des vivants
par la nasse de certains profiteurs
à muse, heurts publics,
et à toute musique, dilacération,
componction,
élucubration,
extrême-onction.
L'œuvre est mais oublie l'auteur :
la créature a noyé son créateur
dans un bain de Léthé qui fut hélas Styx
tandis que le temps ne le fut pas
mais le fuît
et que les heures perdues à la composition
n'apportèrent que peu souvent le prix du sacrifice
fait au nom du Père
du sacré Fils
et de son enceint esprit.
Le libre-arbitre est une vue de ce dernier.
Croire que nous avons le choix est souvent une lubie
des forces sourdent au plus profond de nous
et l'on se croit
et l'on s'entend dire
et l'on s'entend rêver
« tu es né pour ceci »
« pour cela »
et l'on se croise au hasard d'une existence où finalement n'est aucun coup de dé
et l'on veut en découdre
afin de tisser des beaux parements aux flancs des juments du désir
et l'on sait croix
à tout chemin de Damas ou d'ailleurs
et l'on s'y croit
le temps d'une courte vie.
Qu'en reste-t-il ?
La trame de ce qui servit l'œuvre ?
De maladives performances ?
Un bouquet de fleurs envoyé par correspondance – via Baudelaire – ?
Quelques reliques ?
Un cœur débordant d'un amour déçu ?
Un peu de tout cela sûrement...
comme chez tous les gens...
l'âpre goût des idéaux rangés au rang des regrets
les pas sur le sable que l'amer efface
et le souvenir inaltérable d'un sourire
plein d'une vigoureuse joie
gratuite
aux antipodes des calculs et des comptes que l'on doit – dit-on – faire pour survivre
la clef de sol à toute symphonie
un sourire
un sourire qui parvint à changer le plomb des dents cariés en couronne de laurier
un sourire vainqueur
un sourire vain cœur
que la mémoire a vertu de perpétuer éternellement
au sein de l'œuvre.
Avez-vous déjà écouté
– pas entendu, écouté ! –
des poèmes
des symphonies
en vous interrogeant sur la pauvre vie de leur auteur ?
sur ses tous petits ressentis de tout petit humain ?
comme vous et moi ?
Tel est le codex aux portes d'entrée du royaume alibabesque des amuseurs :
ces âmes, ouvrez-moi !
Comme partout
il y eut beaucoup de douleur
beaucoup de pleurs
Mais
la Musique injecte une puissante antidote aux venins les plus insidieux
la Poésie nettoie nos plaies comme la pluie nous noie les larmes
au goutte-à-goutte
et coûte-que-coûte
donc, s'il fallait (enfin) que s'y plaise ainsi Dieu,
que ce Sésame soit ses armes :
laissons la parole à ceux qui moururent
d'une telle dévotion pour leur art
plutôt qu'à de sombres tonsures
plutôt qu'à de pâles césars.


Michel P©2010

8 commentaires:

Anonyme a dit…

je ne pense pas qu'on t'oubliera...

Seshet Noun a dit…

Il est dommage de n'avoir, ici, qu'un extrait de cette symphonie, mais il est vrai que cet adagietto est splendide... Avec ton poème, j'en ai les larmes aux yeux... ... ...

Je crois que je ne m'interroge pas trop sur la vie d'un artiste, je préfère la ressentir à travers son oeuvre... Cela me touche beaucoup plus ! C'est beaucoup plus parlant que des explications sur sa vie (mais qui peuvent, parfois, compléter ou, même, bouleverser la vision que l'on en a)!... Mais, pour moi, l'oeuvre prime.

Merci pour ce moment d'émotions,
Seshet

Michel P a dit…

Et c'est précisément parce que l'oeuvre prime, chère amie, que je m'autorise la petite digression littéraire sur l'auteur... :)
Il y a tant de chancres humains qui ont composé des oeuvres magistrales, que moi, ça m'interpelle de saisir le brin d'humanité en eux qui leur permit d'accoucher de telles magnificences.
Mais peut-être n'est-ce qu'une qu'une question très personnelle.

Anonyme a dit…

saisir le moment présent , s'imprégner jusqu'à l'os l'oeuvre. Cela est certain que de connaitre la vie de l'artiste nous permet de mieux saisir certaines clefs "syllabaires".
Très belle interprétation de l'auteur...bravo

Seshet Noun a dit…

Non, rassure-toi, tu n'es pas le seul ! C'est intéressant, parfois, de découvrir l'homme (ou la femme) derrière l'artiste et son oeuvre... J'ai, récemment, lu un dossier sur Orwell, tout à fait passionnant... et instructif !

A bientôt,
Seshet

Morgan a dit…

Quelle hauteur dans tes mots !

C'est sur la pointe des pieds
qu'il faut donc me mettre là
pour pouvoir saisir par les chevilles...
absentes
toute la teneur de tes syllabes !

Amicalement.
Morgan.

Michel P a dit…

Cela me fait sincèrement plaisir Morgan, que tu apprécies ma versification libre. M'étant tant appuyé sur la béquille du vers régulier, j'appréhende toujours un peu de mettre "à côté de la plaque"...

Anonyme a dit…

Non pas à côté de la plaque, toi !
Je n'ai pas entendu j'ai écouté
j'ai regardé et j'ai vu…


;- A…x