samedi 29 février 2020

Roman



Que l'on subisse ou que l'on faute
on vit sa vie comme un roman
la suite est ce que l'on écrit
que l'on compose ou que l'on tourne

Elle est l'écho de nos dérives
et le micro de nos angoisses
accumuler les ans qui passe
est cumuler les casseroles

À tout beau rôle est un mauvais
c'est le casting à dénoncer
c'est le choix qu'on donne à celui
de la victime ou du bourreau

C'est un pianiste à Varsovie
c'est Kinski violée par son père
une œuvre au noir et ses neuf portes
et la family de Manson

Il faut brûler les criminels
et se faire une inquisition
des bonnes paroles ânonnées
brûlons aussi leurs créations !

À tout beau rôle est un mauvais
n'endossons pas ce dernier-là
laissons la justice à ses juges
et la romance à ses poètes

Il advient lorsque l'on vieillit
de moins trier le vrai du faux
que l'on subisse ou que l'on faute
on vit sa vie comme un Roman

https://soundcloud.com/annaondu/roman

jeudi 27 février 2020

Premiers baisers



La vie recommence à chacun
des premiers baisers retrouvés
la vie redémarre au rencart
de tours de magie dans l'amour
et de nos vains doigts galopant
sur les peaux devins de nos sorts
et sur les oripeaux de vingt
doigts emmêlés sous le tissu

Le désir est un assassin
que l'on réclame à si grands cris
que mourir est si peu de chose
en comparaison du plaisir
et des déceptions en cohorte
à cultiver dans son jardin
que quoi qu'on en crève à la fin
c'est la fin voulue du début

Qu'on soit russe ou français — poète
ou qu'on soit belle ou merveilleuse
— on est le produit du hasard
on est le fruit de nos rencontres
et pas celui de nos entrailles
irritées par les faux-fuyants
des sentiments mal assumés
des premiers baisers retrouvés.

mardi 25 février 2020

Les smartiens




Ils ont l'extrémité
du bras la main greffée
sur l'outil autistique
où leur pensée s’abîme
en se vidant du sens
et du bidon royal
addictif constricteur
étouffant leurs méninges
ils sont les proies faciles
esclaves consentants
vissés sur leurs écrans
bruyants et impudiques
éructant dans leur langue
impropre à s'embraser
de banalités crasses
en un mot comme en cent
comme on sent l'incapable
effort à la fermer
des passagers polluent

lundi 24 février 2020

L'élixir



J'espère un soleil d'or
au fond d'un gouffre intime
où sourdrait singulière
essentielle et sublime
un peu de ta nature

Un soleil dont l'éclat
fragmentaire en tous points
mènerait à chercher
la pépite espérée
que tu cachais en Toi

Si la muse inspirante
en laquelle Aragon
puisait l'inextinguible
appétit de poème
était de cet or-là

Qu'envierait Maupassant
je peindrais ton étoile
au pinceau de ma feuille
et pousserais son germe
à planter ses racines

Aux mots s'enrouleraient
les gourmands du désir
où la sève élabore
un secret élixir
et l'or pur se dilue

https://soundcloud.com/annaondu/lelixir

dimanche 23 février 2020

Fontaine




Il faut croiser
Fontaine
et l'appeler Brigitte

Rue de Saint-Louis-en-l'île
chat noir
à caresser

Puis continuer
le long
du port de l'Arsenal

Du Faubourg Saint-Antoine
jusqu'à
La place des Vosges

Il n'faut pas dire
Fontaine
je n'boirai pas ton eau

Mais je fais mes adieux
je crois
à mon Paris

Paris perdu
longtemps
dans les brumes passées

Par la force des choses
issues
d'obligations

Un an durant
rejoint
mais la page est tournée

https://soundcloud.com/annaondu/fontaine

Paris classée



Le beau ciel est de retour
avec un air de printemps
sur Lutèce et ses arènes

À Jussieu le soleil couche
un vernis doré rutilant
les carreaux de la tour brillent

On klaxonne à la Mutu'
la place Maubert est sans bâches
et son bitume est sans tâches

En une nuit diluvienne
on a passé au passé
un savon décalcifiant

Les sentiments entartrés
dans les rues se sont dissouts
Paris l'affaire est classée.

https://soundcloud.com/annaondu/paris-classee

vendredi 21 février 2020

Quartier Latin


Au petit dej'
j'ai grignoté les patiss'ries
des Dames à la licorne

En tout honneur
à défaut de celle de Bayeux
je m'restaure à Paris

Près de Cluny
je couche ici rue du Somm'rard
où je dors assez peu

Je suis au treize
et ma cellule est monastique
à fenêtre sur cour

Quartier Latin
Je suis au cœur des battements
qui sans cesse l'animent

https://soundcloud.com/annaondu/quartier-latin

Paris sous les auvents



Paris sous les auvents
de part en part
des rues serrées de Saint-Michel

La pluie s'invite au bal
de nuit dimanche
esquive en zigzaguant les gouttes

Et malgré tout trempé
l'hôtel est là
sa chambre exiguë me renferme

Un instant je me couche
en moisissant
les perles de pluie qui m'obstruent

Le profil sinistré
De Nôtre-Dame
aperçu d'un échafaudage

Heurte en vain ma rétine
impératrice
en d'autres royaumes des cieux

Le cognac était bon
le comptoir sec
mais pas le boul'vard Saint-Germain

Dans le reflet des phares
et des liqueurs
un parisien se reconnaît

C'est un révélateur
en noir et blanc
sur pellicule existentielle

Et cependant la nuit
nous enveloppe
en son linceul humidifiant

https://soundcloud.com/annaondu/paris-sous-les-auvents

Le réchauffement climatique



Paris venteux dix huit degrés
j'écumais les apéritifs
à chaque averse pour prétexte
à chaq' bout d'texte à pré-écrire

Paris la bruine et puis la pluie
le pastis à l'eau sur le zinc
et les toits ruisselant de Toi
de ton image à quoi je tique

Ondée versée sur la Cité
c'est pour éteindre un incendie
mais Montparnasse est inondé
par un non-dit dans mes pensées

Paris Rimmel en février
coule d'un bleu d'eau minérale
au firmament de mon cafard
et de mon désespoir acide

Il pleut sur la belle aquarelle
où se délave une jeunesse
et le ciel être capital
habille Paris de son jus froid

J'attends que ton absence efface
absolument tous les glaçons
le réchauffement climatique
est dans tes yeux couleur absinthe

Il pleut sur Paris c'est si rare
on lave les délits des lais
qui de Villon jusque aujourd'hui
dévêtissaient la courtisane

Et dans la marche des degrés
sur l'escalier de l'effet d'serre
il serait bon qu'au cœur aussi
le climat chauffe à sa manière

https://soundcloud.com/annaondu/le-rechauffement-climatique

jeudi 20 février 2020

Le Passage



Chemisier blanc pantalon noir
avec sa gouaille parisienne
elle était la serveuse au bar
un juvénile ange et super bien

Ça c'était la serveuse au bar
œil argenté tablier gris
tandis que le ciel en pleurant
laissait le pouvoir à son rire

Elle était la fille au comptoir
avec un loufiat pour complice
un vieux serveur aux cheveux blancs
plein de malice et plein d'esprit

De ce contraste saisissant
mais nimbé de leur harmonie
naissait le sentiment subtil
où s'affichait sa différence

On sait la singularité
dans un regard où l'on échange
un éclatant sourire éclair
un univers en un rictus

Au coin de ce chemin de verres
en zinc enfin s'est envolé
le sourire un instant fugace
ouvrant le sens à l'existence

En m'arrêtant dans ce troquet
moi le clochard assez céleste
un truc en fait m'avait doublé :
dans mon passé, j'avais l'présent !

J'avais l'présent dans sa beauté
dans tout l'éclat que la jeunesse
offre aux êtres particuliers
lumineux comme un soir d'étoiles

https://soundcloud.com/annaondu/le-passage

Gésir à Paris



J'ai laissé gésir à Paris
les temps forts et les amours mortes
et ce vestige a ressurgi
mimant vertige et Tour Saint-Jacques

Odéon joue de mon hasard
et Saint-Lazare recueille enfin
de ce mot fin la part du lion
que garde Lyon mieux qu'Austerlitz

Que j'eusse eu Jussieu pour école
et de leur rue via la Sorbonne
un point de vue sur les deux îles
il devrait moins m'en souvenir

Pourtant j'éveille les fantômes
en arpentant le gris bitume
et dessous ces pavés sans plage
on sent l'écorché du métro

Les nerfs à vif on déambule
on perd son latin quelque part
en restant calme à Saint-Placide
et puis de marbre à Saint-Sulpice

À Vaugirard on longe encore
une échelle archéologique
où le temps grille au Luxembourg
un feu de paille un peu de poutres

Or, de la République on chambre
en descendant vers Saint-Michel
les souvenirs de '68

samedi 8 février 2020

Distilled in Brest



Non, je n'en peux plus de la pluie
qui tatoue la grisaille à l'âme
et qui découpe en filets d'eau
le temps perdu sans amour.

Et je n'en peux plus du Grand Ouest
où l'on prie l'astre évanescent
de ne pas se coucher si tard
en n'accouchant que de sourires.

Il me faudra peindre en violet
les sabords ouverts de tes yeux
retendre une corde vocale
au diapason de tes paroles.

Il me faudra te conter Brest
et ses remparts rempli de bruine
et de ruines d'amour aussi
dont le profil de fer rugit.

Sous les grues du port de commerce
on comptait les points de suture
en soupirant pour ses beautés
tâchées de rousseur aux yeux clairs.

Il me faudra te raconter
comment la rouille en Poésie
marrie Miossec à Segalen
divorce en récitant Corbière.

Il me faudra bien dessiner
sur toi les entrelacs celtiques
où nos promesses s'entremêlent
et nos baisers sanguins circulent.

Et je n'en peux plus de te perdre
à chaque instant qu'on ne crée pas
dans ce Ponant dont la cité
craquelle en l'absence de toits.

Non je n'en peux plus de l'appui
qui me manque en déséquilibre
au bout du Monde et de la vie
que je ne conçois plus sans Toi.

https://soundcloud.com/annaondu/distilled-in-brest

mercredi 5 février 2020

En "Me Too" fléau



Le froid de l'âme est de l'acier
ce qui perfore au mieux le cœur
et lorsque sur moi tu t'assieds
c'est entre plaisir et rancœur.

En tripotant le bout du Monde
on est souvent très près des femmes
on est souvent le porc immonde
auquel on pardonnait l'infâme.

On est pourtant dans ton regard
un prince infiniment charmant
le prince sans rire en quai de gare
et parfois même un peu l'amant...

La ritournelle a décompté
mes relations imaginaires
et dès lors on a raconté
l'idée que ces traumas génèrent.

À chanter des récits sommaires
On s'est pourri les amygdales
et tapissé de toile amère
un en-soi qu'on livre aux mygales.

Or l'araignée de nos pensées
fleure assez bien les illusions
les déceptions du temps passé
sur un canevas de visions.

La pluie tambourine à grands cris
sur le carreau de ma lunette
et ma vue basse encore écrit
l'éplorée plainte malhonnête.

Elle est cri, sourde et renchérit
ce que vaut chaque individu
car à chaque et perdue chérie
je sais très bien ce qu'il est du.

https://soundcloud.com/annaondu/en-me-too-fleau