mardi 27 mai 2014

Quarante-quatre quatrains aux gens de la pluie (republication du premier des treize textes fondateurs - version initiale de 1989 retouchée en 2005)

Madrín Rain by The Pogues - www.musicasparabaixar.org on Grooveshark


Je l'ai rêvé ici,
Le lit de la rivière
M'entraîne en ce pays,
A l'orée de ces terres.

L'écran de ma prière
à ces chants nonchalants,
Se dresse comme un frère,
Brille aux soleils levants.

Feu des soleils couchants
M'a dit : "viens me donner
Le chaos de mes champs
Et de mes terres brûlées.

Mais comme il se taisait,
Epuisé par le vent,
J'ai pris à ce dernier
Mon âme et mon vivant.

Goutte de pluie tombant
Sur le sol de l'esprit,
Ranime innocemment
Dormir et rêverie.

Libère à l’ennemi !
Le lit est océan !
Emporte l'usufruit
De tes soucis d'antan.

Viens mon moi-même errant,
Au coeur de ta musique,
Sonner la rime en blanc
De ce vert pathétique.

Je deviens amnésique,
M'endors dans le berceau
Ondulant, lymphatique,
De là dedans de l'eau...

Les marées et les flots,
Du disque de la lune
Qui préside là haut,
Reflètent l'infortune.

Nonchalant le chant-Lune
Ciel découvert d'étoiles,
S'empressent une à une
Sur sa voûte et sa toile.

Les nuages s'entoilent,
Sans la nuée de pluie
Qui nous offre son voile
Sous son rideau d'ennui.

Car elle souffre de vie,
Celle qui dans la flaque
Donne son sang aussi,
S'en va nourrir les lacs.

Océan ou cloaque,
Dans vos yeux entrepris,
C'est sourire de chaque
Image que je lis !

Déjà là-bas parti,
Vers les sons de la terre,
De fées et des petits
Espoirs qui nous enterrent,

Je sens couler primaires,
Le temps, l'histoire, l'amour
De ces regards amers
Que j'aime encor toujours.

L'homme est froid, semble sourd
Au grincement des roues
De son chariot trop lourd,
Mais j'en attends beaucoup !

Il a la foi du fou
Qui porte et qui conseille,
Qui balaye et qui boue
Comme une crachin réveille.

Réveille mon sommeil
Que j'y sois fort longtemps,
Carreau collée l'oreille
Qui écoute et entend,

La balade et le chant,
Encor lui dans la nuit,
Revient en bourdonnant
D'eau sur le parapluie...

L'homme poursuit ici
Sur des chemins d'ornières
Où son chariot suffit
A voir plus loin qu'hier.

Il guide sa galère,
Ses rames sont ses bras,
Mais des voiles fières,
Gonflent son cœur d'éclat.

Et sa femme ici-bas,
M'attend juste pour dire
Que je suis ce gars là,
Celui qu'on voit venir.

Qu'importent les sourires,
Et l’orage et les pleurs,
Aux futurs souvenirs,
Je serai dans son cœur.

Aux feux, à leurs lueurs
Qui poussent au combat,
Je marcherai vainqueur
Par landes et par bois.

Le secret de sa voix,
Mêlée de mélopée,
Ancienne et aux abois,
Suffit à m'enivrer.

Aux feux, à leur fumée,
Je redevrai la vue
Qui m'apprend à aimer
Le rêve entr'aperçu !

Des millions de reclus,
De rochers dressés droits,
Sur les voies parcourues
De triskells et de croix.

J'irai porter ce poids,
Tant que ce doux fantasme
Me le réclamera
Par le sang, par les miasmes.

Mais jamais au marasme,
Je n'abandonnerai,
Moins encore aux sarcasmes,
De mes désirs l'objet !

C'est sur le sol sablé,
Construit de pierres pourries,
Qu'enfin la vérité
Ne m'aura pas menti.

Aux arbres désunis
Par les sombres tempêtes,
Rafales éblouies,
C'est mon nom que j'achète !

La tourbe qui m'arrête,
Me freine et me renverse,
Est semelle de dettes
Que mon passé traverse.

Partir d'idées perverses
Et poursuivre le monde,
Quand l'ombre d'une averse
De sa mémoire inonde.

Car ils sont là sur l'onde,
Reflets de mon esprit,
D'une âme vagabonde,
De passions et d'envies.

Ils sont là qui n'oublient
Ni destin ni promesses,
Pour qui j'étais bâti
D'églises et de messes.

Leurs fêtes et leurs liesses,
Leurs prières, lits clos,
Les embruns des caresses,
Les mariages au chaud.

Des falaises et d'eau,
Gens pétris de silences,
Ils quittent leur bateaux,
Gueulent leur différence.

Je les rejoins en transe,
Au-delà des idées,
Prêt à saisir ma chance,
Où allons-nous pêcher ?

L'envie de liberté
Nous provoque en ses flots,
Comme la femme aimée
Aime tourner le dos.

Mais lorsque les oiseaux
Reviennent, nous aussi,
Aux marées, aux bistrots,
Aux pubs, enfin au lits !

Pour rêver des petits
Poursuiveurs d'une histoire,
D'un parler, qui s'enfuient
Comme amour et savoir.

Non, nous, nous voulons croire
Que nos désirs présents
Nous animent ce soir
Des gais combats d'avant.

Car l'homme dans le vent
Qui conduit son chariot,
Le cou impénitent,
A Locronan, Sligo,

Celui-là dont les os
Sont rongés par le sel,
Regarde les tombeaux
Comme on lit un missel.


Il sait que sous les pelles
Se sont gravées vraiment,
Les quelques lettres belles
De ce rêve dément.

mercredi 21 mai 2014

Le champ des poètes

Via con me by Paolo Conte on Grooveshark



J'aurais aimé l'être, Prévert,
pondant des mots de cinéma,
ou bien Villon, l'affreux pervers,
pendu d'amour du haut d'un mât ;
j'aurais goûté de Baudelaire
un peu de paradis – coma –
et de Guillaume Apollinaire
un verger sans millet qu'homme a.

J'aurais volé d'aimer ses airs,
les partitions d'Arthur Rimbaud,
d'aller au pôle en courant d'ère :
d'un le ruisseau, l'autre est amont ;
et dans le val qui va vers l'aine
où le sextant perd l'étambot,
Lamartine est Sade en limon
des crûes d'un fleuve à l'habile haine.

J'ai désossé d'un vers tes braies,
gauloiserie de mes aïeux !
Et d'Eluard des lueurs vraies,
et d'Aragon le camaïeu ;
j'ai desnossé mon écriture
afin de devenir « meilleur »,
et de Jacob et ses cris durs,
offrir un reflet d'orpailleur.

jeudi 8 mai 2014

Car c'est râles

Iron Lion Zion by Bob Marley on Grooveshark



Prisons nos coups de tabac, frérot, blague à l'aise
et blague à part puisque l'on sème, appontons nous
comme on le fit parfois de Brest à Cotonou,
sur le grand rail où s'écartèle un barreau de chaise.

Quels que fussent les écrous, quoi que nous vissions,
nous étions en cellule au fond de nos cerveaux,
pareils aux bœufs en batterie privés de veaux,
tout prêts à l’abattoir pour nos compromissions.

Et que dire du Cran dans les maisons d'arrêt,
puisque nous sommes amassés après ces portes ?
De nos corps ramassés n'est plus rien qu'il importe.

Si l'on est là la lie d'un hallali barré,
c'est que nous nous saoulons sous les lits sans ressorts,
oscillant selon nos souhaits, tels harengs saurs.

Nous assumons nos privations de Liberté
– moi, je suis en prison depuis la puberté –
tout en veillant à ce que notre esprit s'enfouisse.

Nous résistons à la pourriture invasive
héritée d'une moisissure impermissive
à l'ombre de trous ; Dieu fit que d'aucuns s'enfuissent.

Et nous rêvons alors de perspectives floues
que nos yeux – par manque d'habitude – ont du mal
à distinguer du bien, des vertus carcérales,
tandis que le temps mort incessamment nous floue.

Je suis lecture ou foot', brimade ou rébellion,
je suis un numéro sur une liste grise,
on m'appelle au parloir de mes amours en crise,
mais dans mon cœur brisé, je suis encore un lion.

vendredi 2 mai 2014

Entre Sèvres et Babylone

Persian Love Song (The Silver Gun) by Lisa Gerrard on Grooveshark


C'est entre Sèvre(s) et Babylone,
Entre le Tigre, entre l’Euphrate,
Et ces trésors qu’on abandonne,
Dans des Paris qu'un rien épate,
Et des Nabuchodonosor
Avec un fin fil à la patte,
Avec l’écho du mauvais sort,
Et des passés que rien ne gâte.

C'est entre Sèvre(s) et Babylone,
Comme deux cours dociles, gais,
que coule en files monotones
Le flux des jours qui m’importaient,
La mélodie de leurs klaxons,
Qui dans ma tête avant chantait,
Comme un seul chœur que Cora sonne,
Et que Vocker pure enchantait…

C'est entre Sèvre(s) et Babylone,
Qu'au confluent de leur chemins,
En épousailles, qui fusionnent,
En rue du four, si c’en est un,
J’ai pris du temps, j’ai fait du tort,
J’ai fait la manche et pris sa main,
Serré son corps contre mon corps,
Comme on descend la rue Dupin.

Rues de Sèvre(s) et de Babylone,
Par le boul'vard si transpercées,
Comme on ras’paille avant l’automne,
Comme les blés, j’étais fauché,
Mais d’afflictions qu’on affectionne,
Reste l’image de l’aimée,
Même si mal, à ma déconne,
A ma bêtise à bon marché.


C’est entre Babylone et Sèvres,
Ma Mésopotamie de l’âme,
Que je posai dessus ses lèvres,
De mon poison l’effet infâme,
Mes mains dans ses cheveux vieil or,
Et du métro, d’infinies rames,
Impoli train dans ce décor,
Et dont la bouche a pris LA Femme…