samedi 21 août 2010
Kornwall
Elles étaient treize
les treize filles du fermier chargées sur la remorque du tracteur parmi le foin
(des balles qui n'étaient pas perdues pour tout le monde !)
elles devaient avoir entre vingt et sept ans
ce qui en fait treize
et douze retours de couches
elles étaient statistiquement convenables
c'est à dire brunes blondes et rousses
en proportions celtiques
et leurs proportions étaient également convenables
et leur peau veloutée par l'improbable soleil de ce juillet cornique
semblait douce
comme le vent relatif des vingt miles per hour du tracteur
sur ce théâtre improvisé nous étions deux acteurs
blonds
lui avait les yeux bleus
moi j'étais grand
nous étions vêtus de surplus militaires
ce qui suffit à nous faire apparaître allemands
parce que le germain marche intuitivement plus volontiers chargé de vingt-cinq kilos de survie
tandis que le français grabataire
n'est chargé que de réputation
de pastis, de pinard et quelque fois d'eau-de-vie
tant il faut d'eau pour en faire ablutions.
Un autre fermier
la veille
nous avait informé qu'il faisait cent degrés !
– Farenheit, s'entend –
dans le Bodmin moor
nous fûmes poursuivis par un nuage de taons
et lorsque le taon cherche à te rattraper
c'est un présage proustien !
nous avions couru en zig-zag
cela fait vingt ans que je cours encore ainsi
cela fait de jolies vagues
de jolies rides
aux commissures des bouches adolescentes quoique vieilles
aux bords des lèvres cramoisies
puis nous arrivâmes dans la crotte d'une « farm »
que malgré nos souliers de marche
nous cherchions à éviter comme un péril mou
alors qu'une belle jeune femme
pieds nus dans la merde
s'en allait chercher son père
noire comme l'ébène
sauvage
l'autre fermier
nous étions sur les falaises de Tintagel
près du défilé que borde le mystique château du roi Arthur
où plus exactement celui du duc de Cornouailles
où – sous le subterfuge du fou Merlin –
Uther Pendragon engrossa la femme du duc
Ygrène
afin d'en concevoir Arthur
demi-frère de Morgane
sauvageonne
noire
Morgane-la-noire
migraine
nous étions suspendus au mythe comme à ces falaises vertigineuses
et comme à cette beauté vénéneuse
car cette nuit-là
la plus belle qu'il me fut donné de passer à camper
je ne dormis point fermé
mais ouvert à la mer d'Irlande
généreuse
bâtissant autour de nos tentes gonflées par la brise nocturne
ces petits murs de pierres posées et entrelacées telles des lacets de cothurnes
dont nos ancêtres ont constellé nos landes
de leur inimitable et fascinante intemporalité.
L'on m'a dit que la pire chose en Himalaya
outre les sangsues dont on se protège comme on peut avec des parapluies
puisqu'elles pleuvent des frondaisons en détectant la chaleur des corps
ce sont ces interminables escaliers que l'on gravit
sans que jamais ne s'achève en un alléluia
la plainte de la pente où s'offre le décor
des marches que l'on mène au tournant de sa vie.
Les falaises
de la côte nord des Cornouailles anglaises
sont percées comme des outres
par des multitudes de rus
ce sont des montagnes russes
que l'on monte et que l'on descend
en juillet ou bien en août
par d'identiques escaliers
où de mètres deux cents
sont l'addition minimale
à nos pas résiliés
et nos hormones déjà mâles
sous un soleil incandescent
à faire fondre un bonhomme de sel
où la tachycardie te guette
où l'on se met à courir effrayé
du malaise de son compagnon
où l'on cherche en vain une oasis dans un pays d'eau
où l'on se remet en route après coup
multipliant les kilomètres de la carte par les déclivités
et par ces degrés que l'on maudit
température
créneaux de quarante centimètres
à l'épreuve de toute bite d'amarrage
que l'on surmonte à chaque pas
rehaussant le sac à dos à chaque étage
lui qui de ses lanières te tranche les épaules
te file des boutons de pus à force de macérer tes clavicules dans ta sueur
on appelle ça « le voyage qui forme la jeunesse »
et achève les chevaux.
Sur la route
puisque l'on a parlé de bite et à présent de route
dichotome
le choix de se faire embarquer semblait évident
au point de stopper un tracteur revenant de la fenaison
et de poser le sac pour de menus miles
et de se regarder dans le miroir du bleu des yeux de la grande sœur qui me parla en allemand
puis en français
lorsqu'elle entendit mon fantastique accent shakespearien
mon pote ne disait rien lui : il était mort
Elles
Elles étaient treize
j'ai vicieusement compté
mais l'aînée parlait pour les autres
ou presque
car la cadette revendique un peu toujours son droit de citer
et je peux vous jurer
posé sur une botte de paille
dans la plus naturelle et sublime déréliction
que nous nous sommes incidemment trouvés entre treize merveilleuses femelles
toutes du même sang
et très belles
rapidement nous cessâmes la discussion
afin de profiter de cet instant
je ne sais plus exactement quand nous descendîmes
l'impôt fermier se nomme ainsi la dime
mais en atteignant le kyste de Penzance
furoncle au cul des Bretagnes sur leur chaise d'aisance
j'ai revécu l'incident de la splendeur de mes Cornouailles
et je le revis insensément
vampire absorbant ses doses d'ail
français qui pue le beurre d'escargot
avec sa maison sur le dos
et ses bohèmes où qu'il aille
avec ses « wait and go »
et ses passions d'Eldorado
que tout déjoue
je revois l'espoir céruléen d'une fille qui m'effleura la joue.
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2 commentaires:
j'ai fait le voyage jusqu'au bout...
j'ai beaucoup aimé !
Les mots n'ont d'autre vocation qu'une invitation au voyage, ainsi que le nota Baudelaire... Merci amiga !
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