jeudi 22 octobre 2009

Sous le signe de Prévert




"Jacques, tu ne sais pas peindre, mais tu es peintre !" Pablo Picasso

Je connais assez mal la poésie de Jacques Prévert. Un peu, quand même... Mais mal ! Alors j'ai décidé d'y remédier, curieusement au moment où je m'apprête à quitter le Finistère pour Montmartre, où il résida le plus longtemps de son existence. J'ai la bio de son frère et de lui à lire, son recueil le plus connu "Paroles", à disséquer, ainsi qu'un autre recueil de circonstance que je viens de m'acheter, évidemment : "Paris est tout petit".

En quatrième de couverture figure un sizain que je trouve emblématique :

"Entre les rangées d'arbres de l'avenue des Gobelins
Une statue de marbre me conduit par la main
Aujourd'hui c'est dimanche les cinémas sont pleins
Le oiseaux dans les branches regardent les humains
Et la statue m'embrasse mais personne ne nous voit
Sauf un enfant aveugle qui nous montre du doigt."

Alors, si on le lit conformément aux canons de l'écriture classique ça nous donne ceci :
15 pieds
13 pieds
13 pieds
13 pieds
14 pieds
13 pieds

A présent, parlons ce sizain !


"Entre les rangées d'arbr' de l'av'nue des Gob'lins
Une statue de marbr' me conduit par la main
Aujourd'hui c'est dimanch' les cinémas sont pleins
Le oiseaux dans les branch' regardent les humains
Et la statue m'embrass' mais personne ne nous voit
Sauf un enfant aveugl' qui nous montre du doigt."


Ô magie, nous avons des vers en alexandrins partagés par une césure en deux hémistiches, avec rime interne !
J'adore !
Je suis vraiment fan' !
J'y trouve le contournement des règles que je ne parviens pas vraiment encore à oser, preuve (entre autres) de mon immaturité littéraire... Mais bon, mon écriture va sûrement vieillir dans le bon sens du terme. Avec l'aide de Monsieur Prévert. J'y compte ! ;-)
J'ai déjà pas mal écrit sur Paris, mais ce premier chapitre de trente textes n'est vraisemblablement qu'une introduction. Il s'y trouve un certain nombre pour lesquels j'éprouve une tendresse sincère : "Paris-indien", que nombre d'entre vous connaissent déjà, "Paris demain", idem. En l'hommage de Monsieur Prévert, je vous présente celui-ci, que je ressors de mes tiroirs pour l'occase !



La place Maubert

C’est un jour de marché, sous la rue des écoles,
Un jour de giboulées, comme des valses folles,
Au doux chant des baleines et de leurs parapluies,
Des passants dont l’haleine, en nuages, s’enfuit.

Je la vois atterrir sur la vitre embuée,
Ma frontière à franchir… Attaché au café !
D’où je regarde avide, les rues se remplir,
Comme une étoile au vide, se remet à luire.

De la Mutualité, le palais est fermé,
La rue Monge écoulée comme un temps d’aparté,
Comme une bouche muette au sourire édenté,
Une place sans fête a son identité.

Dans son chardonneret, le vieux saint Nicolas
S’arrête de prier de ses sermons sournois,
Coincé par Mitterrand et Monseigneur Lefèvre,
Entre les Bernardins et l’autre rue de Bièvre.

Parallèle au grand fleuve, il s’en va saint Germain,
Peu importe qu’il pleuve puisqu’il vient de si loin,
En remontant la Seine et le quartier latin,
Il s’achève avec peine, après la place enfin…

Maubert-Mutualité et ses marchands étals,
Tout de vert plastifiés sous l’averse martiale,
Ses légumes, ses fleurs et ses spécialités,
Je n’en garde l’odeur que d’un carreau glacé.

Mais j’en garde l’image aux rétines collée,
De l’étudiante sage que j’y attendais,
De ce blond vénitien et son parfum mouillé,
De ces moments martiens qu’à Paris j’explorais.

Et si j’étais resté béat bas de Béa,
Si ma tante en avait et que mon oncle pas…
Si Paris en bouteille avançait à la nage,
Rien ne serait pareil à ses embouteillages.

Le boul’vard saint Germain est bien à sens unique !
De vouloir l’ignorer, sous le regard des flics,
Serait suicidaire pour un permis de vivre,
C’est ainsi qu’on erre quand on est bateau ivre…

Il pleut place Maubert et c’est réconfortant,
Car il pleut comme hier, comme sur tes vingt ans,
Plus besoin de prières ni de faux semblants,
Car en son cœur de pierre sont des mots berçants.

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