samedi 13 février 2010

Luxembourg




Cela se passe au Luxembourg
non
pas au petit poucet pays perdu dans ses miettes de pain
et d'argent sale
juste au jardin
qui s'en est donné le nom
le palais
la dent
la pomme
et la succursale.
Cela se passe tous les jours
– mon calepin est bien trop mince pour les recenser –
une jeune femme blonde croise le regard noir d'un jeune homme brun
une jeune femme brune croise le regard bleu d'un Adonis aryen
une jeune femme bleue croise le fer du regard d'un homme noir
une jeune femme rousse s'enflamme pour un poète à la manque...
Cela se passe tous les dimanches
ou les samedis pour les lève-tôt
ou en semaine pour les étudiants
le reste du temps pour les crève-la-faim
ou dans le passé pour ceux qui jouent de leur mémoire
rendu trop tard pour être examiné
par les étudieurs
qui contrôlent les étudiants
ou s'efforcent depuis six cents ans
de faire semblant
tant on sait la sœur bonne
et les histoires d'amour post-adolescentes toutes trustées par Paris.
Hugo, Baudelaire, Rimbaud,
et les autres
pourquoi font-ils toujours trotter les petites bottines au Luxembourg ?
Les bottines ?
C'est noir
c'est montant
c'est lassé mais jamais lassant
cela couvre la cheville mais pas tant
c'est le cuir ode à la femelle ostentatoire
en son refus offert à de rasants regards
et de jolis talons à d'agiles rasoirs.
Mais le bassin reste calme
Le kiosque n'abrite plus de musique militaire
aux premiers soleils
seuls moignons à prendre l'air
ce sont ces bouts d'orteils...
Et pourtant !
Luxembourg
Cela s'y passe comme des doses prohibées
renifle !
Sniffe !
Tu ne sens rien ?
Tu ne ressens rien ?
Zut !
Je dois déraisonner...
Peu importe, la déraison est ma geôlière
je lui disais – ma déraison – « m'enjôle hier ! »
mais elle ne m'écoute pas
elle ne sait que parler
alors qu'il est besoin de SE TAIRE
quand on s'allonge sur un banc du LUCO.
Les amoureux qui se roulent des patins à faire des jeux devant couverts y sont négligeables
ceux qui sont intéressants
ce sont ceux qui s'embrassent du bout des yeux
ceux que l'on cueille à la fleur de pellicule
comme ailleurs on ramasse la fleur de sel.
Ceux qui surnagent
ceux qui gardent de beaux yeux dans ce bouillon
ceux que racontaient déjà les grands poètes
ceux qui sont immortels parce qu'ils y reviennent toujours
au Luco
au Luxembourg
c'est pas un miracle, ça ?
Il s'y trouve des bassins pour baptiser ces amoureux intemporels !
Le monde est bien fait.
Y'a même toutes les déesses amoureuses possibles
et les reines de France
(même celle aux grands pieds)
pour bénir la rencontre au bonheur de l'œillade.
Y'a même de la barbe-à-papa pour les enfants qui n'ont pas l'age
y'a des pigeons très cons dont la vie consiste à chier ce qu'on leur donne à bouffer
y'a des touristes – voir ci-dessus – qui passent à titre d'ailes
de vols transcontinentaux
de transits intestinaux
bref
qui nous chient dessus aussi
sur les belles statues des reines de France
sur Berthe
sur les Dames du temps jadis de mon maître
sur les amoureux des bancs publics de Brassens
MAIS
y'a aussi un garçon timide qui prend sur lui l'immensité de son univers
qui se lève et se dirige vers une fille tout aussi timide
qui depuis une heure et demie lui renvoie comme elle peut l'écho de ses signaux
– où voulez-vous, artistes, chercher meilleur écho de la beauté ? –
et je ne fais plus attention au nom de la reine de France qui les observe
et d'ailleurs je ne fais plus attention à eux non plus
je me lève simplement
avec l'absolue certitude
que nous faisons bien de faire ce qui nous chante
ce pour quoi nous nous sentons faits
et que Louis Armstrong a bien fait de chanter.

3 commentaires:

Morgan a dit…

Eh bien, ce fut pour moi aussi un bien belle promenade, malgré ces cons de pigeons ( j'adore ce passage !).

Murièle Modély a dit…

Il y a un ton très quotidien, qui me plaît bien dans ce poème...

et je partage l'avis de Morgan sur ces cons de pigeons
ce sont pour moi de sales bêtes angoissantes (Süskind mon ami ;)

Anonyme a dit…

Et les touristes… !
mdr
On est toujours le… touriste de quelqu'un, trop drôle !

biz cousin
Ax