dimanche 13 décembre 2009

Dix-neuvième





à mon Père et à Marie,

Il pourrait s'agir d'un arrondissement de Paris
celui, petit pauvre
qui fit des culbutes-Chaumont
au nord d'une Belleville
à l'est de Montmartre
à force de Sibylle
au temple enfermé dans un pentacle ésotérique
Bref
entre les seins de Paris
engorgé
engorgé comme son métro qui dégorge comme dégorge un cornichon
Corps
Nichons
entre les seins de Paris
cravaté par des apaches – heureux qui, communistes
depuis la place du colonel Fabien
ont fait un beau volage – et
étranglé d'offices notariaux
pour quelque héritage ou valeur immobilière
(l'immobile du crime)
cédant à d'autres la corde pour se pendre
station Danube bleu
valsant sur tant de places défaites
arrondissant les coings ou les pattes d'oie
sur le visage de la grande pute
Paris
Babylone
l'avant-dernier arrondissement avant l'achèvement de la forme
patinée
fuyant par le canal de l'Ourcq
sur lequel on patine par grands froids
uretère routière vers périphérique néphrétique
éreintée par le joug capital
des crises de surpopulation
émiette d'un petit trop poussé
les évocations d'une ceinture parisienne
chasteté
ventre rond
le dix-neuvième !
Non !
Je ne parlerai pas de Paris
ni de la station Magenta
ni de la beauté des Lilas
et de ses télégraphes
ou de ses télégrammes en gestation
ni de moi
– ce garçon un tantinet raseur a l'âme jetable –
ni de Badinguet qu'elle envoie valdinguer
quoique
c'est à cet endroit que se noue
à Magenta
– triste colorant d'empire
du pire, en vérité –
le nœud gordien du dix-neuvième :
un siècle fait de napoléons à saute-mouton
– où est le deux ? –
un siècle pétri de génies littéraires
un siècle pétri de génies picturaux, sculpturaux, récipiendaires,
le siècle de la musique – la musique ? – inventée
que nous offrit Mozart
mort trop jeune
essoufflé par son génie
comme tous ceux auxquels il le transmettra dans un siècle qui aurait du être le sien
le siècle dont je ne sais si nous ne nous sommes jamais relevés
français
tant sont de fantômes en châteaux aux murs dissociés
au mur des fédérés.

Je sais encor beaucoup d'enfants vivre aux cloches du romantisme
comme les parias d'un progrès subi à contre-cœur
et quelques communiants païens prêts à s'ouvrir le chœur
de cathédrales gothiques
et d'absides abstinentes
en confesse
fendues du trait de l'archer où l'art bat l'être
aux cloches de Notre-Dame
con fendu par l'extrait de notre pauvre lettre
écrite au vent des passantes de Baudelaire.
Je sais la débordante envie
de se propulser entre les notes de Chopin
de Liszt
entre les vers de Lamartine
entre les tomes des romans
qui d'Hugo furent sacrements
et des Dumas mystifications de Génies
entre des piles de poussières massives
molaires
mastication
entre les piliers d'un temple sale où mon
incantation
n'aperçoit nul écho....
Je me sens miraculé d'écrire au « vent mauvais », des bribes
de ce que fut ce siècle
évitant les diatribes
qui modèlent l'obsiècle
que des serfs cueillent anormaux
sur les trottoirs de nos marges.
Il se peut que tout commençât
par l'îlot du Grand Bé
et par mon grand recueillement
et par un coquillage bé
ouvert sur la voix d'un grand large
celle de Monsieur le littérateur de Saint-Malo
et de la campagne dinanaise
de Combourg
– quel nom con pour un bourg, non ? –
et les sermons de quelque abbé
Lamennais ?
De parler l'a mené à quoi ?
à la Chênaie
à deux pas de Dinan
– dont je tiens peut-être là le secret de mon magnétisme mystérieux –
Lamennais et son grand frère
congrégateur à Ploërmel
au petit séminaire de Pont-Croix
à la mission de Papeete...
Lamennais, l'ami de Liszt...
Moi ? De piano je reste coi !
Il m'aurait plu de m'être assis
auprès de Frédéric Chopin
ou bien auprès de Ferenc Liszt
pour creuser à deux l'âme humaine
ses résonances incertaines
ses accords et ses désaccords
ses dissonantes componctions
ces harmonies contemporaines
dont on a putréfié le corps.
Étrange communion.
La transsubstantation du corps et de l'âme des poètes
depuis l'îlot d'où dort paisiblement Chateaubriand
qui ouvrit avec Beethove
le chapitre infini du romantisme
et leur génie du christianisme
le pont en continuité du chemin tracé par Mozart et Rousseau
qu'emprunteraient les plus grands.

Le Dix-neuvième est donc un toboggan
Il ne suffit que de glisser pour le suivre
glisser sur des phrases et des mélodies
au coeur du mot "Liberté"
dégainé
rengainé
tel un opéra de Verdi
Nabucho-dinosaure clignant toujours de ses faux-cils
sur des révolutions manquées héritées de la folie napoléonienne
sur l'ébullition de peuples en campagnes
sur l'incroyable agitation gagnée par la terreur
sur l'autre, dit « des lumières »
et qui n'offrit à son fils que du clair-obscur
et beaucoup de rouge par-ci, par-là
du noir et du rouge
parfait résumé stendahlien
pour cette glissade qui se prolongea en mordant sur le vingtième
(la guerre de cent ans n'en dura pas moins cent-seize)
comme sur Belleville
jusqu'au charnier de la guerre de 14.
Le dix-neuvième siècle dura jusqu'au 11 Novembre 1918.
Le grand Ludwig en fut le prodigue chapitreur
un prodige précurseur
de ses harmonies que les latins jugeaient barbares
et le François René, brillant écho
au point qu'on se les représente à l'identique
cheveux battus par les vents
tête baissée
sous le poids qu'un jour on nommerait
SPLEEN
parce qu'il y eut un coup de Poe
dans le chemin de l'écriture
un vent venu du nouveau monde
traduit par un paria de la société de l'époque
et Keats aussi
mais Hölderlin, néamoins...
mais n'allons point trop vite !
Il y eut Victor Hugo
qui traversa son siècle comme une aiguille à passementerie
qui sut tout écrire
et en quantité
qui fut un odieux parlementaire en ses jeunes années
et finit comme héros populaire
qui fut tout ce que je déteste
probablement par admiration
qui synthétise un refus de lire
potentiellement par flemme
objectivement par vénération
que je serais curieux de rencontrer
une fois au paradis
ou en enfer
je ne sais pas où se retrouvent les auteurs
musiciens, baladins et autres auxquels on refusa si longtemps les cimetières chrétiens
peut-être parce qu'ils vendent leur âme au diable
Hein Goethe ?
Qu'en dites-vous, Toi et Schiller ?
depuis votre refuge de Weimar
d'où s'initia plus tard
après que Liszt en fut Kappel-Meister
la république la plus triste
– curieux d'y avoir fait découvrir Wagner ! –
qui accoucha d'un antéchrist
et fit le lit d'Adolf Hitler...
Et toi pauvre Schubert ?
Malade au Goethe-à-Goethe
que ne t'a-t-on trop oublié ?
Que de tâtons à rechercher
trente-et-un ans de partitions...
Il y eut Hugo comme ligne de conduite
et bien d'autres avec lui
ou contre lui
mais il y eut son œuvre
comme fil d'Ariane
et son amitié d'avec Liszt
l'enfant prodige
comme Mozart
torride héritier des modes de l'époque
dont on eut dit qu'il fut le seul centaure, au volant de son instrument à queue
faisant corps
comme on fait corps des femmes
et que ni l'un ni l'autre ne manquèrent de faire
Liszt, Hugo,
un poème mis en musique...
L'un mit sa vie en vers
l'autre en musique
et tous deux traversèrent
ce siècle mi-cynique
mi-pervers
dont il nous reste un vaste théâtre symphonique,
Berlioz, Wagner
Wagner qui doit tout à Liszt
jusqu'à sa fille Cosima
Bayreuth
par anticipation, c'est presque Beyrouth
une sorte de guerre absurde que l'on mène à soi-même
un conflit théâtral
car au bout du compte ? Comment qualifier le romantisme si ce n'est de
Théâtral ?
La bataille d'Hernani...
conflit théâtral sur le théâtre d'Hugo...
On mit donc ce siècle sur les rails de querelles d'esthètes
de l'art
comme on le mit sur d'identiques et absconses truelles politiques
– la « truelle » est ma définition du duel à trois
avec une caméra de Sergio Léone, une musique de Morricone
songeant qu'elles auraient pu parfaitement illustrer Garibaldi –,
royalistes, bonapartistes et républicains
sur des rails divergents
écartelant l'essieu de sa locomotive
et les fuligineuses révolutions industrielles
qui firent découvrir à Darwin
avant même les Galapagos
le secret de la sélection naturelle
auprès de petits papillons sur l'écorce du bouleau
boulot
esclavage moderne
filatures
mines
Jean Valjean – enfin, Monsieur Madeleine –
Germinal
non, trop tôt !
Hugo d'abord !
Les chroniques du dix-neuvième sont de fantastiques chroniques sociales
il s'y raconte nos mœurs au passé au présent et à l'avenir
à Hugo la cours des miracles
et son reflet de Villon
en Baudelaire
et qui sait ?
en Rimbaud ?
À Balzac le pesant présent qui ne nous est pas vraiment un passé
à Flaubert l'avenir de ce que nous sommes
et de nos bovarysmes incirconspects
à Musset, Nerval, un zeste d'intemporalité...
à Lamartine le son du corps
– qu'eussiez vous imaginé d'autre ? –
et au reste de ce siècle leurs enfants naturels !

Sainte-Beuve
un nom à s'inviter au grand alcoolisme initiatique !
et toujours, inévitablement, les interprétations de Franz Liszt
– tiens ! Je le dis en allemand ! –
qui veut comprendre ce numéro 19
doit percer le codex des compositions de Franz, François, Francis, Ferenc Liszt
qui veut saisir la pulpe de ce siècle
doit pénétrer l'énigme musicale de celui qui en fut la plus singulière incarnation !
Pour une seule et simple raison :
avant de parvenir à se vouloir hongrois
il fut européen !
Il les connut tous ou presque
Il eut les amours romantiques de Flaubert, de Musset, de tous
Il fut le grand ami de Berlioz
Il fut le grand ami de Von Bullow
Il fut le grand ami de Wagner
de tous ces littérateurs susnommés
et la participation du violon d'Ingres
Il fut l'alter-ego de Frédéric Chopin
et souffrit de sa mort phtisique
comme de celle de son fils
car il n'est pas de hasard : la vie vous donne un passeport
pour souffrir de perdre ceux qui ne l'ont pas.
Chopin
à ces deux syllabes
j'en sais qui sentent la chair de poule
sur les avant-bras découverts pour le piano
que serait la musique sans Chopin ?
Frédéric fut dans un sacrifice conscient de son art à l'humanité
dans une mission
le cœur et ses histoires n'ont que des anecdotes
l'Histoire, Elle, est remplie de son génie créateur en perpétuelle ébullition
Chopin commença à faire mourir le numéro 19
Et Liszt à le réanimer.
Là, tout devient plus flou...
surtout lorsque ce dernier rencontre Charles Baudelaire
et
décelant en lui le trait du génie
inonde les cours d'Europe de recommandations
peine perdue
Liszt
Ô Liszt
Baudelaire
que pouvais-tu faire, qui te croyais si puissant, Liszt ?
Chopin
Sais-tu qu'en anglais, « sable » se dit
Sand ?
Les femmes... les femmes omniprésentes
souvent manipulatrices
– petites Agrippine des salons où l'on crochète les dandies entre ses serres –
rarement créatrices
MAIS
Sand
comme comptant les secondes qui restent à vivre
et que ce dont Marceline déborde vale mort
ne changera que de leur première présence au sein d'un Parnasse en bousculade
qu'une vierge rouge achèvera de célébrer.


Ce siècle fut un mois de putréfaction
le monde ne ressemblait plus
quoiqu'il le veuille
à ces étés tout en faction
mais à des crépuscules
à des soleils à des seuils
quand tout à coup tant s'y bousculent
sans frein ni prépuce
sires concis, non
noblesses perdues dans les heurts de la veuve
semblables aux cranes des catacombes.
Dans leurs orbites vides
ils se sont enfin contemplés
et ont accouché de l'absolu :
je crois que le premier enfant fut Paul Verlaine...
Ce n'est pas facile !
non, d'être l'aîné
mais Mallarmé !
Bordel !
Je m'y noie
Voilà !
On a fait la crèche !
Et Jésus est né sous le pseudonyme d'ARTHUR Rimbaud
sous le souffle du boeuf et de l'âne
sous le souffle de Mallarmé et de Verlaine
Jean-Nicolas Arthur Rimbaud
le Messie de la littérature...
L'effondrement qu'il provoqua est équivalent à l'éruption du Krakatoa
La même année que ses parutions...
Ah ! La poésie était prospère mais rimée
Mérimée !
Brahms écrivait de la musique
Sublime
juste après Mendelssohn
juste après Schuman qui en était le premier supporter
juste après que Clara
haineuse envers Liszt
– parce qu'il représentait tout de sa faiblesse de femme
que par bonheur Mahler
sut illustrer d'harmonies définitives –
ait fini par le conduire à l'asile
douloureux prémices
car
Camille naissait sous le bras téléguidé de Rodin
et Rimbaud avait décidé de mourir en Afrique
parce qu'il avait la peur de ne rien pouvoir un jour écrire de plus beau
et qu'il cessa d'écrire comme on cesse de vouloir vivre
en attendant la guillotine d'un temps qui ne put jamais le juger.
Mais qui sut qu'à ses côtés
présidait un autre prophète de l'apocalypse littéraire
Ils n'eurent pu point se rencontrer
car ce dernier mourut à Paris
avant que le premier n'y parvienne
et ce dernier en forme de premier
calanché phtisique, lui aussi, probablement,
à vingt-quatre ans !
écrivit la chose la plus posthume que l'on puisse imaginer :
des chants en champs de proses et en inflation lyrique
comme nul engrais puisé à la sève putride des décompositions
n'en produira plus jamais...
Isidore Ducasse
pseudo-Compte de Lautréamont
vécu le temps d'une phalène.

Puis Hugo mourut
peu après Monsieur Offenbach
qui nous avait enchanté de grosses bouffes où la dérision prenait valeur d'abaque
à la mesure de la beauté
de ses contes que l'on ne sait inachevés
l'aiguille à passementerie cessa son canevas
Camille aima à tort
Rimbaud mourut un laid jour de sa propre négation
Verlaine ne s'en remit jamais
Tristan Corbière ne fut que sa confirmation
et les romanciers crurent que le naturalisme était la voie
et Zola eut de la voix !
mais pas de descendance littéraire
et le roman s'effondra
et la poésie aussi, malgré Laforgue
la littérature s'effondra comme un empire !
Comme un troisième empire !
Sur les murs tachés de sang de la Commune de Paris
à laquelle avait cru Rimbaud
Verlaine aussi
peut-être leur seule croyance
teintée du vert de la fée
Tout s'effondra
car le dix-neuvième est un château de cartes d'identité
où toutes sont imbriquées...
Dans leur drame
Mademoiselle Claudel et Monsieur Rodin continuèrent à sculpter
Octave Mirbeau oublia le poète qu'il aurait pu être, pour les critiquer
le petit frère écrivit
faisant semblant de ne pas oublier
le cataclysme rimbaldien
ni la bousculade baudelairienne sans laquelle il n'eut été qu'une vague
au lieu d'un Tsunami
Paul Claudel fut le témoin des morts
et des internés.
Il fut le témoin de ce mauvais passant
ce Mau-passant
qui aurait du bousculer la littérature de sa fin de siècle
cet écho de Poe mais en manque
et fut l'acteur de l'excursion à Ville-Evrard
curieux écho d'un jeu de paume à la façon de Villiers de l'Isle-Adam...
Ne m'en veuillez pas !
Paul Claudel est le croque-mort du dix-neuvième.
Il fit de sa sœur une victime expiatoire !
Et toute la littérature s'effondra
– probablement pas tout l'art
qui fit jonction
à coups de Debussy
à coups de pinceaux
Lautrec
Gaugin
Van Gogh
qui souffrirent et burent beaucoup afin d'y parvenir –
laissant le dénuement et ses questions auto-référentes
Jusqu'à ce qu'enfin
un seul les synthétisât
dans le portrait définitivement aboutit de ce que fut ce siècle
de profondes confusions
et d'inspirations jusqu'encore inimitées :
c'est en Swann
en soit
que ce fit le portrait proustien
d'un inénarrable gâchis.
Puis vint
logiquement
la guerre.
Le surjet, rejet
– tu sais, ce truc qui nous fait passer la phrase d'un vers à un autre –
fut la « Belle époque »
grâce à Proust
une extra-balle à la période que nul ne pouvait ni ne voulait abandonner.
Puis vint la guerre.
Survivaient à ce marasme quelques poètes
en Russie
Elle-même que ce siècle avait vue naître en son miroir artistique
celui de Dostoïevsky, Tolstoï et des autres
celui de Moussorgsky, Rimsky, Borodine et des autres
Maïakovski
et ici
le petit suisse
Cendrars
et le grand Apollinaire
tandis que Gourmont rongeait sa gourme
mais il y eut la guerre...
Le Dix-neuvième est mort une matinée
celle du onze novembre mille-neuf-cent-dix-huit
Il est mort de la grippe espagnole
Blaise Cendrars nous le rappellera à jamais !
Il est mort dans la tombe d'Apollinaire
le jour de ses obsèques
au Père-Lachaise
dans le Vingtième.

2 commentaires:

Morgan a dit…

Quel souffle, amigo ! Pour sûr, tu n'es pas phtisique ! Ta poésie p(r)ose sur le 19ème littéraire une cadence et un regard - certes, sélectif- mais ô combien original ! (J'ai bien repéré les modifs que tu as réalisées - ça se glisse sans mal dans le corps du texte.)

Michel P a dit…

Tu vois Morgan, j'essaie de raisonner mon texte ainsi que j'ai pu sentir que Cendrars le faisait, tellement cela m'avait plu ! Trouver de la fluidité ! Il faut que cela soit liquide. Le reste coule de source...