samedi 5 août 2006

Jour de foire



A ma grand-mère,
Un portrait de son amoureux,

C'était à la fin des années '50,
Pour ne l'avoir vécu, je ne le sais
Précisément, mais de tout ça je n'invente
Rien de tout ce que l'on me racontait.

Il y eut une grève de la poste
Qui dura tant, dura dit-on des mois,
Qu'elle figea la vie dans son compost,
Qu'elle figea des gens dans leur Pont-Croix.

Ainsi fut-il du sort de mon grand-père,
Vendant de l'assurance aux paysans,
Soudain futiles furent ses affaires,
Dans le coma de ses correspondants.

Ce n'était pourtant pas sa vocation :
Aux années '20, existait en Pont-Croix,
Manufacture de tapisserie,
Et ouvrières œuvrant de leurs bras.

Filant, cousant, mouillant dans la rivière
Qui se remplit toujours à marée haute,
Elles vieillissaient de cette manière
Ces jolies scènes qu'il fallait sans faute.

Mon aïeul que la chance avait doté
De sureté de trait et d'œil alerte,
Jeune homme, y concevait des griffonés
Et les esquisses dont il vit la perte.

Car l'usine exportait en Amérique
L'essentiel de ce qu'elle produisait,
Un séisme dont sait les répliques,
En '29 et son Krach la détruisait...

Le jeune artiste, à ce jour démuni,
Se fit donc fourmi plutôt que cigale,
Laissant de l'art aux cochons de Paris,
Son métier, aux rêveries inégales...

Mais durant toutes ces longues années,
Il continua à saisir sur l'instant
Ces bouts de vie de nos mondes pressés,
A coups de fusains sur des papiers blancs.

Quelque fois il en faisait une toile,
J'ai su ces odeurs de thérébentine,
Et ces pinceaux qui soulèvent le voile
De ces couleurs qu'imprimaient ses rétines.

Mais le peintre est d'abord un reporter,
Un peu comme le poète, je crois,
Voleur d'image, il en fait un mystère
Sur des carnets de notoire immédiat.

Puis il reprend tour à tour ces clichés,
En artisan, les assemble en puzzle,
Puis en ouvrier, s'en vient les fraiser,
Puis en artiste, se sent un peu seul.

Pont-Croix, le Jeudi, c'était jour de foire !
Je n'en ai connu que la fin, enfant,
Mais tout droit héritée de son histoire,
C'était marché vaste et opulent.

Les quatre coins de Cornouailles présents,
Et des coiffes variées en témoignage,
Et des sabots et du bétail fumant,
Tout cela œuvrait dans cet assemblage !

Les halles n'étaient pas encor rasées...
On parlait les variantes du breton...
Sortis de siècles sans cesse écoulés,
De beaux êtres s'en poussaient au balcon.

Longtemps, les esquisses s'accumulèrent,
Jusqu'à ces jours de grève interminables,
Jusqu'à ce que l'appui de ma grand-mère
Fasse un rêve de fou réalisable.

Elle aussi avait une âme d'artiste,
Il faut l'avoir pour aimer ces bestiaux !
Et surtout pour supporter ces autistes !
Et pour laisser respirer leur cerveau.

Alors, il trouvât une vaste planche,
L'ayant décidée pour être support
D'une fresque dont ce fut page blanche
Où se posait paysan, vache ou porc.

Je ne sais combien l'œuvre, au diable !
Mais je sais, pour sûr, qu'il en vint à bout !
Puisque de tous mes souvenirs durables,
Je revois le film, et de bout en bout.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là :
C'est en vendant la maison Alavoine,
Qu'acquéreur, le musée du marquisat,
Se vu de cet objet du patrimoine.

Des hommes vinrent donc le chercher,
L'ôter de pendaison originelle,
Mais quand ils voulurent la décrocher,
L'objet ne put quitter ce lieu, fidèle.

Comme Quasimodo d'Esmeralda,
Comme ces lieux remplis d'amours amères,
Lorsque l'on voulu l'ôter de ces bras,
La vieille fresque tomba en poussière...

Mes grands-parents étaient six pieds sous terre,
Et comme ces immenses mandallah
Que les moines tibétains régénèrent,
« Jour de foire » s'en fut à l'au-delà.

J'en garde mémoire et photographie,
Et des questions qui n'ont pas de réponses,
Comme les vers rongent le bois, la vie,
Rongent-ils aussi mes pensées absconses ?

Et mon papier, et mon papier aussi ?
Je sais au moins, en toute circonstance,
Je sais que cette fois, j'aurai fini,
Une œuvre, tu sais, une résilience.





Compte à rebours : restent 6 textes à écrire.






PS. Ce texte est également un peu dédié à ma sœur Armelle, qui dessine pour les enfants, à ma cousine Marie-Alix, qui connaissait « Tonton » Guy et « Tante » Simone, et dont la luminosité du travail perpétue l'atmosphère dans laquelle j'ai toujours extase à m'immerger, enfin, qui sait, à ma fille Anna et à mon fils Hugo, qui ont peut-être hérité du don que je n'ai pas.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

je me suis retrouvée dans la maison de mon grand père. Peint à même le mur de la cuisine , s'étalait le pont de plougastel entouré de verdure...Les murs sont restés, mais je pense qu'à ce jour, ce pont peint de sa main à disparu sous un enduit moderne..
Mais il continu d'être dans mon regard...
Bise!
Just

Anonyme a dit…

Always an absolute pleasure, cher Michel ! Un bel hommage aux reflets du passé…écrivains, poètes, peintres : nous sommes tous, en quelques sorte, des « voleurs d’images »--heureusement c’est ainsi. R. P. Malagrida a dit « La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée. » L’œuvre laborieuse d’amour ou bien de folie que fait l’artiste d’images ou de mots libère alors ces pensées infinies…Que nous soyons plus sensibles au royaume des indicibles ! P.S. La chanson qui l’a accompagné, il y a plusieurs heures, (twist in my sobriety ?) Qui était-ce ?

Anonyme a dit…

Merci de cet honneur, Michel, je suis très émue.

Ton Grand-père, était un Artiste. Mon Beau-Père était très fier du don de son frère, il nous en parlait souvent !
Il me semble bien que la fresque était à gauche en entrant dans le bureau. Je ne savais pas ce que cette fresque était devenue…
Hélas, Pont-Croix et le musée du marquisat ont perdu un chef-d'œuvre et un témoignage de cette "foire historique".
Bisou
Marie-Alix

Michel P a dit…

Et bien Anne ? ;-) Tanita Tikaram, chère correspondante d'outre-atlantique. Une belle chanteuse galloise avec une très improbable voix, elle aussi.
Là, je viens de repasser à Johnny Clegg... En effet je reviens d'un festival où il était en concert ! Il n'a pas vieilli tant que ça le vieux lion sud'Af'.
Mais je laisserai un petit billet sur cette journée de concert car j'y ai vu du grand, du très grand, du grandiose !
Marie Alix, it's my pleasure chère cousine ! :-))
Just, tu m'énerves à la fin ! ;-)
J'ai l'impression que t'es à 10m de moi ! Depuis le temps qu'on se laisse des com'... Toi t'es madame mystère ! :-))

Anonyme a dit…

6 textes à écrire et la résilience Micha ? Vie en mots, maux en vie !

Touchante l'histoire de ton grand-père... Faiseurs d'images, de rimes, de sons... quand toutes les formes d'expression se rejoignent pour exprimer l'indicible...

Pensée douce.
Mourka

Michel P a dit…

oui Mourka ! Ecriture pour les autres et aussi un peu pour moi... Charité bien ordonnée... Mais tant que ça chante aus oreilles des autres est la seule chose qui m'importe.
Celui qui trouve joli le chant des hirondelles se soucie peu de savoir pourquoi ou comment elles chantent.
un jour, si je me réincarne, que ce soit en hirondelle.

Anonyme a dit…

vraiment touchant,

Anonyme a dit…

Très beau.....
Ton bâton de résilience.... Ne cesse jamais de t'y appuyer cher cap'tain là est ton salut
Bisous tous doux