vendredi 13 octobre 2023

L'été 2019





Nous étions à la charnière

entre le mois de Juillet

le mois doute

et mon père étant grabataire

avait donné les clefs de sa maison

non sans quelque éclats de voix

mes enfants restant chez moi

— dans la précarité de ses gestes —

à son fils.


Alors, en laissant mes gamins adolescents libres

en m’envolant seul en direction de Paris

j’entrais dans le train normand

qui m’emmènerait Gare Saint Lazare

et par le Météor (un métro sans conducteur et nommé « la 14 »)

à la Gare de Lyon

Sous une indicible effroyable et folle canicule

(en sortant du train climatisé

je croyais mettre au four un corps entier !)

Paris crépitant comme un barbecue

Paris fait de braises et de souvenirs

une chaleur écrasante

un météore en combustion

puis le RER en direction de Maisons-Alfort

de France

un gentil monsieur noir offrant un mouchoir à mon front dégoulinant

la sueur réunie d’un peuple entier laborieux

dans une rame à 40°C

Paris température extrême

et sa plage à la crème

en forme de tarte aux opinions

Je revenais dans les lieux de ma jeunesse amoureuse

un peu comme on revient poète à Moscou.


Je ne me suis pas endormi ce soir-là

puis l’orage éclata

le matin c’était vêtu de vingt degrés de moins

raccourcissant l’escalier des émotions

dans la maison de mon enfance

au fond du jardin l’annexe avait tenté d’être forcée

mais ma résidence adolescente avait résisté

trente ans passés

j’étais de nouveau maître des lieux

je retrouvais toutes les traces de ma mère

un parfum de sa présence évaporée

trente ans passés

l’orage a toujours effacé la température et le temps

parenthèse enfin fermée

le jardin de mon enfance

où je m’imaginais champion de foot ou de rugby

recordman du monde au saut à la perche

— avec le squelette du sapin de Noël —

il me fallait néanmoins revenir au cœur de Paris.


Nôtre-Dame avait brûlé lors de ma venue précédente

et l’odeur était persistante

il faut que vous sachiez que mon cœur hybride

est autant de celui de Paris

que de celui du bout du Monde en Finistère

un cœur écartelé depuis le début de mon existence

entre un pôle existentiel

et l’autre un peu plus fantasmagorique

on est dans notre étendualité

J’étais dans le chez-moi du quartier Latin

des îles de Paris

de ces endroits que j’aime à partager

la Place Saint-Michel

et ses amoureux qui s’y rencontrent en mon nom

la Place Maubert

et son marché dont persiste le squelette en semaine

la Place Dauphine

et le bon vin blanc qu’on y consomme

et le jardin du Luxembourg où je me dorais la pilule en séchant mes cours

à côté

Place de la Sorbonne

où ma mère enceinte allait me promener durant les évènements de 1968

où ma mère arrivée du bout du Monde

apprivoisait Paris

faisant de son fœtus un enfant naturel issu de l’endroit

viscéralement

me partageant de fait entre un Finistère inéluctable

et la capitale en lettres ainsi nommées.


J’ai beaucoup écrit durant cette semaine à Paris

j’allais dans les bars

assis au comptoir

et de bar en bar

en buvant un verre à chaque endroit

j’écrivais un nouveau poème

évitant les pluies d’été

(bon prétexte à se réfugier)

j’écrivais ma vision du Monde en kaléidoscope

en prisme en arc-en-ciel

il fallait beaucoup d’inspiration

mais ainsi que Maïakovski

je ne crois pas en l’inspiration

je ne crois qu’au travail

à l’observation

je fais mon boulot dans mon coin

résistant aux influences

il est protéiforme et tant mieux

c’est le reflet du fonctionnement de mon cerveau

qui se refermait en rentrant le long des quai de Seine

en passant par le square Tino Rossi

par les fêtes dansantes de l’été battant son plein

croisant le sourire éblouissant d’une beauté

qui s’était rasé le crane

affrontant l’avenir au soleil égorgé dans le fleuve

et la Saint-Barthélémy de l’existence.


Il est bien temps que que je réécrive en escalier

pour les marches de Paris.


Mais je suis retourné rejoindre mes enfants.


Je ne suis revenu qu’en octobre

après la vente de la maison proposée

pour la vider

les enfants m’accompagnaient

Nous avons honoré le lieu par le boulot

c’est commun pour nous tous

et mon père est mort un peu plus tard.


En février 2020

juste avant le Grand Confinement

je suis venu rendre les dernières clefs

logeant à l’hôtel

rue de Sommerard (où l’on dort peu)

près du musée de Cluny.


Je repense à l’été 2019 où tout s’est décidé.

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