Nous étions à la charnière
entre le mois de Juillet
le mois doute
et mon père étant grabataire
avait donné les clefs de sa maison
non sans quelque éclats de voix
mes enfants restant chez moi
— dans la précarité de ses gestes —
à son fils.
Alors, en laissant mes gamins adolescents libres
en m’envolant seul en direction de Paris
j’entrais dans le train normand
qui m’emmènerait Gare Saint Lazare
et par le Météor (un métro sans conducteur et nommé « la 14 »)
à la Gare de Lyon
Sous une indicible effroyable et folle canicule
(en sortant du train climatisé
je croyais mettre au four un corps entier !)
Paris crépitant comme un barbecue
Paris fait de braises et de souvenirs
une chaleur écrasante
un météore en combustion
puis le RER en direction de Maisons-Alfort
de France
un gentil monsieur noir offrant un mouchoir à mon front dégoulinant
la sueur réunie d’un peuple entier laborieux
dans une rame à 40°C
Paris température extrême
et sa plage à la crème
en forme de tarte aux opinions
Je revenais dans les lieux de ma jeunesse amoureuse
un peu comme on revient poète à Moscou.
Je ne me suis pas endormi ce soir-là
puis l’orage éclata
le matin c’était vêtu de vingt degrés de moins
raccourcissant l’escalier des émotions
dans la maison de mon enfance
au fond du jardin l’annexe avait tenté d’être forcée
mais ma résidence adolescente avait résisté
trente ans passés
j’étais de nouveau maître des lieux
je retrouvais toutes les traces de ma mère
un parfum de sa présence évaporée
trente ans passés
l’orage a toujours effacé la température et le temps
parenthèse enfin fermée
le jardin de mon enfance
où je m’imaginais champion de foot ou de rugby
recordman du monde au saut à la perche
— avec le squelette du sapin de Noël —
il me fallait néanmoins revenir au cœur de Paris.
Nôtre-Dame avait brûlé lors de ma venue précédente
et l’odeur était persistante
il faut que vous sachiez que mon cœur hybride
est autant de celui de Paris
que de celui du bout du Monde en Finistère
un cœur écartelé depuis le début de mon existence
entre un pôle existentiel
et l’autre un peu plus fantasmagorique
on est dans notre étendualité
J’étais dans le chez-moi du quartier Latin
des îles de Paris
de ces endroits que j’aime à partager
la Place Saint-Michel
et ses amoureux qui s’y rencontrent en mon nom
la Place Maubert
et son marché dont persiste le squelette en semaine
la Place Dauphine
et le bon vin blanc qu’on y consomme
et le jardin du Luxembourg où je me dorais la pilule en séchant mes cours
à côté
Place de la Sorbonne
où ma mère enceinte allait me promener durant les évènements de 1968
où ma mère arrivée du bout du Monde
apprivoisait Paris
faisant de son fœtus un enfant naturel issu de l’endroit
viscéralement
me partageant de fait entre un Finistère inéluctable
et la capitale en lettres ainsi nommées.
J’ai beaucoup écrit durant cette semaine à Paris
j’allais dans les bars
assis au comptoir
et de bar en bar
en buvant un verre à chaque endroit
j’écrivais un nouveau poème
évitant les pluies d’été
(bon prétexte à se réfugier)
j’écrivais ma vision du Monde en kaléidoscope
en prisme en arc-en-ciel
il fallait beaucoup d’inspiration
mais ainsi que Maïakovski
je ne crois pas en l’inspiration
je ne crois qu’au travail
à l’observation
je fais mon boulot dans mon coin
résistant aux influences
il est protéiforme et tant mieux
c’est le reflet du fonctionnement de mon cerveau
qui se refermait en rentrant le long des quai de Seine
en passant par le square Tino Rossi
par les fêtes dansantes de l’été battant son plein
croisant le sourire éblouissant d’une beauté
qui s’était rasé le crane
affrontant l’avenir au soleil égorgé dans le fleuve
et la Saint-Barthélémy de l’existence.
Il est bien temps que que je réécrive en escalier
pour les marches de Paris.
Mais je suis retourné rejoindre mes enfants.
Je ne suis revenu qu’en octobre
après la vente de la maison proposée
pour la vider
les enfants m’accompagnaient
Nous avons honoré le lieu par le boulot
c’est commun pour nous tous
et mon père est mort un peu plus tard.
En février 2020
juste avant le Grand Confinement
je suis venu rendre les dernières clefs
logeant à l’hôtel
rue de Sommerard (où l’on dort peu)
près du musée de Cluny.
Je repense à l’été 2019 où tout s’est décidé.
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