mercredi 30 janvier 2019

Frontière



À Andreï Makine, inspirateur éternel,


Changer d'pays, c'est changer d'peau,
c'est changer d'vie, c'est changer tout ;
s'échanger quand on n'a pas d'pot,
qu'on veut changer de Manitou.

Troquer sa foi comme un organe
et refréner de la boisson
le baiser chaud qui de Morgane
a fait la fée de ses moissons.

Bouger d'endroit, bouger toujours,
évaporer l'odieux mirage
et le reflet des vilains jours
mithridatés comme la rage.

Comme le temps passe un espoir,
et comme un train passe l'enfer ;
un paradis bâti d'histoires
a pris le pas sur nos affaires.

Il a crevé l'abcès du temps,
lorsque demain l'affronte hier,
et que nanti de ses printemps
s'effondre autant de la frontière.

https://soundcloud.com/annaondu/frontiere

samedi 26 janvier 2019

Pontécrucienne



Je suis le seul à pouvoir dire ta beauté
Parce que tu ressembles à l'eau sans couleur coulant des pierres
Parce que ton regard au flux des années passées
Reste à ce point limpide en te décrivant
Que je m'abreuve à ta lèvre entr'ouverte
En ton cœur est la fontaine irrésolue
Le moulin de mes paroles et la meule effrontée de ton sourire
Il y a dans le vert de tes yeux le parfum des pommes à Pont-Croix
Les jardins suspendus regardant couler la rivière à contre-sens
Et tes tâches de feu sur une eau saumâtre à disperser
Je suis le seul à pouvoir dire ta beauté
La profondeur de ton sourire
Allant creusant mes sentiments secrets
Ma passion dans toutes tes absences
Et ce qui ronge enfin ma brutale impatience
En distillant sur pied, le parfum des regrets
L'espoir abandonné
La douce gravité de ta bouche à mon inexistence.

https://soundcloud.com/annaondu/pontecrucienne

Tanka maritime



Le bord lessivé
De cette mer éplorée
Tisse un canevas
Turquoise au fil de l'eau claire
Où je me perds en tes yeux



jeudi 24 janvier 2019

L'élytre

Ma juste beauté des doigts de la main,
m'effeuille un amour sans son lendemain.
J'ajuste à son sein ma paume affamée
qui colle à sa peau comme où la femme est.

Pentaradiée telle un soleil exsangue
  • Ô mon étoile irradiant ses degrés —
    J'amortirai sa chute et ce malgré
les pulpes de vase et les lourdes langues.

On écoute un brin d'herbe, un sifflement sec :

le Monde articulé par les Géants       de notre Finance internationale
n'est que le pantin
désarticulé
d'une ode au néant
                           d'un air éculé
                                           du vent d'un insecte
                                                                      à ce point mutin
                                                                      à ce point banal.

L'élytre, devin !

mercredi 23 janvier 2019

Je détrône



La noblesse est un leurre et sa robe un blason
dont le décor oral dicte un mensonge écrit,
car en te trahissant, j'appâtai deux maisons
marquées du fer à trépasser malgré les cris.

Se croire un parvenu lorsque l'hiver arrive
et que sans bienvenue le froid gèle les eaux,
je n'en sais qui soient parvenus sur l'autre rive
autrement qu'en ramassant l'état de leurs os.

La vie, la mort et l'heure absolument venue
sur le cadran d'un temps charcutier par moments,
tout ça se saucissonne en notre festin nu.

Tout ça signe en saignant, rouge et sanguinolent,
la noce édulcorée de fables ingénues
selon laquelle on tue l'idée de nos amants.

https://soundcloud.com/annaondu/je-detrone

lundi 14 janvier 2019

Transe



Les par-dessus jetés dans l'air
et les dessous doués de raison,
la danse impose aux partenaires
un supplément de diapason :
le corps oscille et visse en vain,
le cœur aussi comme un pendule
et de ses battements (cent-vingt)
noue la fréquence qu'ils modulent.

On a si peu décrit la danse
et ses substances animales,
et ses suées dans la cadence
— où est le fiel, où est le mal ? —
alors que toute mise en transe
— où est la fille, où est le mâle ? —
est en son genre (oh, quelle outrance!)
une évasion plus maximale.

On se déhanche, on déambule,
on rêve en geste, on vibre enfin
sur quelques sons, petites bulles
où l'on s'éclate en mort de faim ;
pressant les muscles et les sons,
la communion des sangs, des chairs,
embrase un âme à la façon
d'un champ de braise hors de jachère.

https://soundcloud.com/annaondu/transe

mardi 1 janvier 2019

Les étrennes



Nouveau roman le nouvel an ?
Au moins nouvelle ou bien essai,
car le récit qu'on ouvre est lent
d'un cuir relié qu'on dépeçait.

Qu'on dépassait tous à nos tables
en l’obscurité de Janvier,
qu'on dépensait sans cartable
après Noël, cadeau que j'enviais.

Cela se nommait les étrennes
et l'hiver en est l'emballage ;
encore aujourd'hui je les traîne
en ne sachant plus de quel âge.

Oui, de quel âge est la sacoche
où je rassemblais mes crayons,
mécréant m'écrivant d'encoches
au nouvel an de mes passions.

https://soundcloud.com/annaondu/les-etrennes