« J’avais des visions brûlantes
au point d’en avoir mal aux yeux
car elles n’allaient pas de l’extérieur à mon cerveau
mais en sens inverse »
Jo venait baigner son front fiévreux
d’un linge ayant la douceur
à la fois de son regard et de ses gestes
elle était attentive attentionnée.
« Des soleils inondaient mon crâne éperdus
tourbillonnant comme des feux follets
dans un cagibi sombre et renfermé
ma tête où je me sentais perdu »
Jo prenait également soin de ses passions
les toiles étaient entassées face au lit
chacune était recouverte d’un délicat tissu
pareil à celui dont elle épongeait les suées.
« Je viens d'écrire une longue lettre
et parfois ça vous mange le croissant d'une nuit
j’y raconte un peu mes envies de créations
mes idées qui dérangent et ma lumière en pluie »
Jo venait d’accoucher d’un petit Vincent
dont elle avait voulu le prénom de son beau-frère
alors elle aimait le bercer d’un tendresse en miroir
et prendre un soin particulier de son être et de son art.
« Il a plané comme un grand oiseau cul-d'jatte
au dessus des rêves irréalisables sur lesquels nul ne peut atterrir
on ne peut pas atterrir en s’envolant plus loin
c’est pour cela que je dois maintenant mourir »
Elle était amoureuse en vérité de ce garçon
Jo que son frère épousa se réalisait dans son génie
Théo n’aimait que par épisodes
ainsi qu’un marchand de tableaux qui défilent.
« L'ignorance est un puits terrible
auquel s'abreuvent les théories qui font sombrer le monde en son cœur abyssal et noir et profond
mes beautés quotidiennes se sont égarées sur des chemins de traverse
et mes couleurs aussi s’y sont délavées »
Jo le fait taire en son délire hypnotique
elle est au courant que c’est un accident
qu’il ne s’est pas suicidé
mais qu’il est parvenu jusqu’au summum esthétique.
« Un baiser c'est deux tranchées dont les lèvres signent l'armistice
et je suis resté seul avec un tas de pinceaux
seul avec une obsession que toi-même et ton époux ne pouvaient comprendre
une obsession que je ne comprends pas »
Jo lui sourit
Vincent meurt il le sait
Vincent meurt elle le sait
la tranchée de la guerre à venir est dans ce dernier sourire.
Auvers-sur-Oise a rendu sa sentence
et l’église emblématique a sonné les matines
un peintre a décédé cédant au Monde un tas de toiles
une araignée délicieuse habitant au plafond de l’église
unissant les doigts de l’Homme et d’un Dieu
dans un poème universel
et Jo passa sa main sur ses yeux
son regard ardent s’était éteint
Jo se sauva de Théo
qui mourut dans les six mois
d’un mal absolu dont elle ne fut pas atteinte
— un don de la prostitution dans les maisons closes —
en se retrouvant propriétaire ainsi d’une immense incomprise inouïe collection.
« Qui cherche à s'interroger n'est qu'une île inconnue dans un océan d'angoisses
il y avait dans les lignes des traits de son visage
un fulgurant résumé de ce qu'est la beauté
Je meure au bonheur infini de ce qu’elle aura fait de moi »
Jo retourne aux Pays-Bas
sa famille ainsi l’aide en assurant la collection
la première exposition n’est qu’un triomphe
et Paris de nouveau lui tend les bras.
« Le bien peu de choses que l'on est
s'invite aussi parfois à leur partage avec les jolies choses que vous êtes
une fable est toujours une vérité cachée
que personne n'est prêt à recevoir en tant que vérité pure »
elle s'inscrit en 1894 au parti travailliste
en 1914 elle fait transférer la dépouille de Théo près de la tombe de Vincent
le lierre unit dans l’éternité les deux frères.
(Une union de deux amours).
« On en voudrait toujours plus
mais au final on en a toujours moins
l'amour est un ogre anorexique
et sa rançon n’est qu’un moyen »
Sans Jo pas de Van Gogh
elle a fait de lui celui que nous connaissons
sa vie lui fut dédiée dans son intégralité
je ne connais pas plus beau sacrifice.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire