samedi 24 février 2024

Jo

 





« J’avais des visions brûlantes

au point d’en avoir mal aux yeux

car elles n’allaient pas de l’extérieur à mon cerveau

mais en sens inverse »

Jo venait baigner son front fiévreux

d’un linge ayant la douceur

à la fois de son regard et de ses gestes

elle était attentive attentionnée.


« Des soleils inondaient mon crâne éperdus

tourbillonnant comme des feux follets

dans un cagibi sombre et renfermé

ma tête où je me sentais perdu »

Jo prenait également soin de ses passions

les toiles étaient entassées face au lit

chacune était recouverte d’un délicat tissu

pareil à celui dont elle épongeait les suées.


« Je viens d'écrire une longue lettre

et parfois ça vous mange le croissant d'une nuit

j’y raconte un peu mes envies de créations

mes idées qui dérangent et ma lumière en pluie »

Jo venait d’accoucher d’un petit Vincent

dont elle avait voulu le prénom de son beau-frère

alors elle aimait le bercer d’un tendresse en miroir

et prendre un soin particulier de son être et de son art.


« Il a plané comme un grand oiseau cul-d'jatte

au dessus des rêves irréalisables sur lesquels nul ne peut atterrir

on ne peut pas atterrir en s’envolant plus loin

c’est pour cela que je dois maintenant mourir »

Elle était amoureuse en vérité de ce garçon

Jo que son frère épousa se réalisait dans son génie

Théo n’aimait que par épisodes

ainsi qu’un marchand de tableaux qui défilent.


« L'ignorance est un puits terrible

auquel s'abreuvent les théories qui font sombrer le monde en son cœur abyssal et noir et profond

mes beautés quotidiennes se sont égarées sur des chemins de traverse

et mes couleurs aussi s’y sont délavées »

Jo le fait taire en son délire hypnotique

elle est au courant que c’est un accident

qu’il ne s’est pas suicidé

mais qu’il est parvenu jusqu’au summum esthétique.


« Un baiser c'est deux tranchées dont les lèvres signent l'armistice

et je suis resté seul avec un tas de pinceaux

seul avec une obsession que toi-même et ton époux ne pouvaient comprendre

une obsession que je ne comprends pas »

Jo lui sourit

Vincent meurt il le sait

Vincent meurt elle le sait

la tranchée de la guerre à venir est dans ce dernier sourire.


Auvers-sur-Oise a rendu sa sentence

et l’église emblématique a sonné les matines

un peintre a décédé cédant au Monde un tas de toiles

une araignée délicieuse habitant au plafond de l’église

unissant les doigts de l’Homme et d’un Dieu

dans un poème universel

et Jo passa sa main sur ses yeux

son regard ardent s’était éteint

Jo se sauva de Théo

qui mourut dans les six mois

d’un mal absolu dont elle ne fut pas atteinte

— un don de la prostitution dans les maisons closes —

en se retrouvant propriétaire ainsi d’une immense incomprise inouïe collection.


« Qui cherche à s'interroger n'est qu'une île inconnue dans un océan d'angoisses

il y avait dans les lignes des traits de son visage

un fulgurant résumé de ce qu'est la beauté

Je meure au bonheur infini de ce qu’elle aura fait de moi »

Jo retourne aux Pays-Bas

sa famille ainsi l’aide en assurant la collection

la première exposition n’est qu’un triomphe

et Paris de nouveau lui tend les bras.


« Le bien peu de choses que l'on est

s'invite aussi parfois à leur partage avec les jolies choses que vous êtes

une fable est toujours une vérité cachée

que personne n'est prêt à recevoir en tant que vérité pure »

elle s'inscrit en 1894 au parti travailliste

en 1914 elle fait transférer la dépouille de Théo près de la tombe de Vincent

le lierre unit dans l’éternité les deux frères.


(Une union de deux amours).


« On en voudrait toujours plus

mais au final on en a toujours moins

l'amour est un ogre anorexique

et sa rançon n’est qu’un moyen »

Sans Jo pas de Van Gogh

elle a fait de lui celui que nous connaissons

sa vie lui fut dédiée dans son intégralité

je ne connais pas plus beau sacrifice.




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