À Solveig Dommartin,
Si j'écris dans l'ombre des astres
une fabuleuse uchronie
que ta noirceur soit mon désastre
et ta nuit le jour que je nie,
je m'endormirai dans le songe
où tu m'attends inconsciente,
où la vérité des mensonges
est notre antidote impatiente.
Du bras qui t'écrit qu'on ampute
on oublie souvent dans l'histoire
que les poètes et les putes
partageaient le même trottoir,
que les prêtres et les bandits
partageaient la même tranchée,
que le poing qu'un jour on brandit
fut celui d'un membre tranché.
Figé dans son manteau de pierre
ainsi qu'un dessus de cercueil,
ne coule plus de ses paupières
un vrai sel que de faux-airs cueillent.
Ne coulent plus dans nos mémoires
que des symboles de l'horreur
et de l'encre au creux des grimoires
un fiel extrait d'anges pleureurs.
Celui qui réside en Amiens
sert de symbole à tous les gars
qui ont à l'exemple du mien
ce trésor de larme en dégâts,
le chaud d'un soleil féminin
dans le puits de leur cœur brûlé,
l'or que — lorsqu'on en démine un —
gagne un souverain de Thulé.
Lorsqu'en rampant je l'aperçois,
la lumière au bout du tunnel,
en dessous des suies qu'on reçoit
des pluies des soleils du shrapnel,
c'est ton iris qui pousse en moi
tel un azur germant charnel
au fond des ténèbres d'émoi
dont ton absence est sentinelle.
Fallait-il donc
pour s'échapper
des autres ailes ?
Ou le pardon
d'ange écharpé
pour demoiselle ?
J'ai pataugé dans la bouillasse et le
brouillon
des vraies passions, laissant l'artère
à retrancher
d'un cœur malade usant ses yeux dans
le bouillon
bien trop salé pour notre soif à
étancher.
J'ai pris ma mine et mes crayons, mon
cher fusil
à baïonnette, et j'ai tatoué là sur
le front,
les mots d'Amour promis aux vies que
Dieu bousille
et que le diable enguignolé vole à
Gnafron.
Mais la clarté sur ce cliché pourtant
déteint,
de ta candeur en tes beaux yeux
céruléens,
de ta rousseur qu'aucune pluie d'ici
n'éteint,
m'éclaire mieux qu'un cierge — en
ai-je brûlé un ?
Si toute église est aux sanglots dits
canoniques,
il n'est pour moi que ta beauté face
aux canons,
que ta prière aux trinités
neurasthéniques,
afin d'ôter la triple alliance à
leurs surnoms.
Ma belle étoile, astre incendiaire et
fascinant,
j'ai ton voyage échappatoire ancré
dans l'être,
et la cadence au chant macabre et
lancinant
s'efface ainsi quand tu choisis de
m'apparaître.
Est-ce mon rêve ?
Icare ?
oui car
je fonds en toi
De toi j'en crève
ignare,
geignard,
ange en Artois.
Dans l'âtre infernal où ton sourire
exposa
l'envers de mon regard dont le fond
n'est qu'en toi,
j'ai reconnu l'oiseau du baiser
qu'apposa
ta fontaine aérienne à mon désir
pantois.
Tandis que de l'arrière affluaient les
berlines
alors démaquillées en discrets
corbillards,
bandé, faisant la queue, le
soldat-la-praline
attendait la razzia de ce décor
pillard.
À jouer les Saint-André sur les
chevaux de Frise
ou les Saint-Sébastien sous les
flèches féroces
arrachées aux roués que l'écheveau
défrise,
on passait pour martyre aux roues de
ces carrosses.
Dans la nuit phosphorée par tes éclats
de larmes,
il m'a fallu sentir la poudre à ton
visage,
et la noirceur tigrée par l'éclair de
l'alarme
eut ma langue tranchée dont je perdis
l'usage.
Alors, « chevaux de Frise »
en bas-relief inscrits,
mes barbelés de mots secoururent
d'avances
à la promesse absurde où s'étouffait
un cri,
l'intuition défaillante et l'abrutie
jouvence.
Mais je repense à toi du fond du trou
boueux,
Dès que ce qui me sert de toit — le
ciel — est bleu,
Pour ton regard uni je tords mon cou
noueux,
Car de par lui c'est l'or de tes
cheveux qu'il pleut.
L'air passe sur tes traits comme un
pinceau d'artiste,
et les gaz en douleur proposent leurs
palettes
aux peintres de la mort dont les
portraits d'autistes
épargnent ton image à grands traits
d'arbalète.
Mon amour, le shrapnel est moins frais
que tes dents,
L'un dit que sa morsure est un baiser
saignant,
Je dis que ta prière est un chant que
j'entends
Parmi les anges morts, tombés ou bien
plaignant.
Alors pleure ô ma Flamme avant que je
ne meure,
Oh, pleure avant que de n'avoir à me
pleurer,
Tu es ma vie car tout mon cœur en toi
demeure
et mon espoir quand tu ne fais que
l'implorer.
Ce séraphin figé, tes larmes sont les
siennes,
Au martyre de l'Homme, aux souffrances
des femmes,
On dit que l'ange ému vous rendit
musiciennes
afin d'accompagner ce sacrifice infâme.
Je suis — si tu le veux — l'acteur
d'un grand suicide
en troupe alimenté, théâtre de la
mort,
fourmi dans les vapeurs d'un grand
insecticide,
infect empoisonné, je prie pour tes
remords.
Je prie le Dieu du miracle en toi mon
aimée,
d'infléchir la course folle et traitre
des balles,
et je prie l'ange et l'oracle aussi
déprimés,
de m'épargner la souffrance ainsi qu'on
déballe.
Et je prie la Destinée de t'être
clémente,
une pincée de bonheur à te
saupoudrer,
si jamais il m'arrivait de trouver
charmante
une sotte Miss la Mort pour un sot
poudré.
Car je ne peux oublier
ce que nous vécûmes
au bon gré du sablier,
de ses grains d'écume,
de ses bras d'honneur
— Patrie, Discipline —
ces grains de bonheur
et mes grains de Spleen.
Tu vivais en moi des bombardements,
ta silhouette aimée brillait dans mon
crâne
ainsi qu'une bombe à retardement,
tu m'étais dans l'ombre un vrai
filigrane
et dans la mémoire un contexte amant.
Tu me répétais, sans cesse et
semblable
à cette piéta, des vœux résumant
la mélancolie de ma mort probable,
et tes yeux tendaient vers ce bleu
prévalant
à ma dilution dans des grains de
sable.
Tu me décrivais d'une courte échelle,
à peine agrippée d'un rebord de
Manche
ou de fontaine à lui, mon
Saint-Michel,
à peine abonnée ma Belle aux
dimanches
où ma vie menait son bateau louche,
elle...
Tu m'enjolivais par correspondance
en m'imaginant dans les boucles du
verbe
où l'épistolaire et folle affordance
ouvrait ta mémoire ainsi qu'un
proverbe
à mon amour fou tout en décadence.
Alors j'ai pleuré l'ange d'Apulée
dont l'amour avide effeuillait ma prose
et dont l'avatar avait appelé
Psyché pour miroir à l'ombre des
roses
et Toi la colombe au cœur empalé.
Puis je t'ai croquée, Pomme de
discorde,
aussi belle esquisse à ma mise à
pied,
dont je fis dix doigts comme on fait
dix cordes
imitant ton rire à ce point copié
qu'il est du bonheur l'écho qu'on
m'accorde.
Auprès de Rimbaud dont j'ai les
tourments,
tu me reprochais d'être à bonne école
;
j'ai besoin d'Amour et de sentiments
comme un alcoolique a besoin d'Alcools
ou d'encres rougies pour son testament.
Lorsque je regarde au firmament
l'astre de tes yeux bu par les étoiles,
je ne suis plus que cet infirme amant
dont tu te moquais en dehors des toiles
où je peignais tes cheveux filaments.
Lorsque rêvant d'ange à mon cœur
battant
les clochers mutins sonnaient le
tocsin,
je ne pensais pas non t'aimer autant
que ce que tes bras dont je n'eus
vaccin,
m'offrirent en grand d'un butin patent.
Je me suis niché comme entre tes seins
dans cette tranchée suant les
blasphèmes,
et dans ce sillon dont le diable est
ceint,
je m'exorcisais puisque ma nymphe aime
au cœur du poème être mon dessein.
Je me suis mêlé ta mélancolie
malsaine à mes maux d'écrivain raté,
mais de tes baisers mégotant folie,
je garde un fumet qu'aucun arrêté
ne violerait à ta bouche jolie.
En t'imaginant dans ce ciel brûlant
J'entendais les chants d'obus aux
phosphores,
auxquels l'Enfant dut retirer l'élan
de son bateau sous les feux du
Bosphore,
alors que croissait ton spectre en
hurlant.
Psalmodiant mon nom,
ma littérature,
échoient aux canons
l'ombre et les ratures,
ton ombre invasive
et ta silhouette pure
emportée lascive
au bon gré de ton épure.
Le sang roucoule dans la gorge des
pigeons
qui vont et viennent de la cathédrale
au front ;
et de leurs nouvelles que nous nous
partageons,
nous sommes en Somme un combat que nous
livrons.
Symbole de pierre à ma fiancée
perdue,
l'ange a sa lumière et toute sa
bienveillance,
et plus de prière à Toi l'amante
éperdue,
il n'est plus d'hier pour te prouver ma
vaillance.
Je t'ai rêvée pudique au creux de
nudités
dont l'alarme incendiaire éveillait
les échos
desquels les concrétions de ma
timidité
fournissaient l'argument de germes bien
locaux.
Et j'allais erratique à la croisée
des boues
où les crues des chemins suturaient
l'appelé,
dont les genoux rompus ligamentaient
l'embout
des canons des fusils et des feux
chapelets.
En ma chair anthracite où la flamme du
soufre
a pu cautériser l'angoisse
hémorragique,
il me vient à chanter de ces êtres
qui souffrent,
les plaintes pétrifiées de leurs
masques tragiques.
On en oublie ce que ses prunelles
secrètent
à se les arracher dans les gaz
exhausteurs,
tandis qu'on déverse ainsi ses larmes
secrètes
avec un angelot pour s'en faire un
porteur.
Il nous faudrait percer l'écorce à
l'infini
de cette Terre absurde, afin
d'éradiquer
ces tranchées en Gruyère aux bords
indéfinis
que des sangs nourriciers pouvaient
seuls indiquer.
Puisque notre destin s'écrit à
l'encre rouge
et que nos intestins sont des foyers de
guerre,
il n'est vraiment en nous de bon que ce
qui bouge,
et de nos positions les projets de
naguère.
Il n'est vraiment de bon que nos
métamorphoses,
et l'élan ferrailleur des bâtisseurs
de paix,
bien que celle-ci soit aux anamorphoses
un argument réel dont l'horreur se
repait.
Cœur à fragmentation — je n'avais
plus de moi
qu'un ressentiment vague auquel
s'accrocheraient
les prothèses de l'Être et les
brouillards de l'émoi,
j'avancerais sans tête au gré des
crans d'arrêt.
Ma vie n'aurait dès lors plus que le
sens inique
en direction duquel une folie mondiale
aurait privé mes sens de tes parfums
cliniques
et des soins mitigés de tes mains
primordiales.
Ma vie sauvée par l'or de ton aile
angélique
et par tous les écrits d'une plume
arrachés,
serait encore ici — quoique bien
famélique —
afin de témoigner d'un ignoble bûcher.
3 commentaires:
Magistral ceci.
Tu as lu, j'ai essayé de mélanger les rythmes et de créer des ruptures, de réunir l'ancien pour faire du nouveau...
Sublime :-)
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